jeudi 14 juin 2007

Les journalistes et la démocratie (1)

Dans les années 70, aux Etats-Unis, deux simples journalistes, Bob Woodward et Carl Bernstein, d´un journal sérieux, mais loin d´être leader, le Washington Post, renversent le président des Etats-Unis, Richard Nixon. Durant les années 70 et 80, le journalisme est interprété comme le « quatrième pouvoir », une solution contre les défaillances ou les excès des trois autres[1] (exécutif, législatif et judiciaire), un garde fou pour la démocratie. Cependant, depuis quelques années déjà, sondages et enquêtes montrent que la confiance des citoyens s´effrite envers certains médias Serge Halimi parle de journalisme de révérence : « Les médias français se proclament contre pouvoir. Mais la presse écrite et audiovisuelle est dominée par un journalisme de référence, par des groupes industriels et financiers, par une pensée de marché, par des réseaux de connivence. Un petit groupe de journalistes omniprésents impose sa définition de l´information-marchandise à une profession de plus en plus fragilisée par la crainte du chômage. Ils servent les intérêts des nouveaux maîtres du monde, ils sont les nouveaux chiens de garde. »[2] William Randolph Hearst, le magnat de la presse qui inspira Orson Welles pour Citizen Kane, répétait à ses journalistes : « N´acceptez jamais que la vérité vous prive d´une bonne histoire. » Les tabloïds de Rupert Murdoch semblent avoir la même éthique.

En 1995, Pierre Carles réalise un reportage, Pas vu à la télé, pour Canal+ qui fait une «Journée de la Télé » centrée sur les thèmes : « la télévision, le pouvoir, la morale ». Le début montre une conversation privée, en voix off, entre Etienne Mougeotte, vice-président de TF1 et François Léotard, alors ministre de la Défense, juste avant que ce dernier ne passe à l'antenne en direct dans le journal de 20h00 de TF1, depuis la base militaire de Fréjus, pour le 50ème anniversaire du débarquement. Une conversation qui, captée par un satellite, retranscrite dans le Canard Enchaîné et Entrevue, ne sera jamais diffusée à la télévision. A aucun moment, il ne présente cette discussion comme un scoop; il s´agit d´une conversation amicale entre deux personnes qui se connaissent bien, fréquentent les mêmes personnes, les mêmes lieux… Sur la fin de l´entretien, on comprend clairement qu´Etienne Mougeotte tente une amorce de lobbying, notamment à propos de la révision du cahier des charges du service public. Comment se fait-il que ce document n´ai jamais été diffusé à la télévision ? C´est la question que Pierre Carles décide de poser directement aux intéressés, aux journalistes réputés. Alain Duhamel, Guillaume Durand, Bernard Benyamin, Patrick de Carolis… Il commence par leur demander de façon anodine : « Y'a-t-il des sujets tabous à la télévision ? - Non, non, enfin moi, je n'en connais pas… », puis interroge brusquement sur les relations entre médias et pouvoir politique.

Charles Villeneuve : « On vend une information transparente, alors il faut que les journalistes, et les politiques, soient transparents ».

Ensuite, Pierre Carles leur montre son enregistrement, qui montre une connivence évidente et qui lui pose « un petit problème moral ». Les différents interviewés deviennent blême, se décomposent, l'un d'eux vient même à s'irriter violemment, un autre enfin demande de stopper l'interview. Les journalistes sont certes transparents, mais ils ne supportent pas de se trouver en face de leurs propres contradictions. Rares sont ceux qui sortent indemnes de cette confrontation[3].

Canal+ refusera de diffuser ce film et Pierre Carles réalisera un film relatant cette censure : Pas vu, Pas pris. Ce film fut, à son tour, interdit de sortie en salle, jusqu´à une souscription pour obtenir les fonds manquants pour la sortie du film en salles. L'opération est soutenue par Charlie Hebdo et largement relayée par la presse écrite. 3.440 personnes répondent à l'appel et versent les 600.000 F nécessaires au rachat de "Pas vu à la télé" à Canal+.



[1] Définition de Montesquieu.

[2] Les Nouveaux Chiens de garde, Serge Halimi, Liber-Raisons d´agir, 1997

[3] Jacques Chancel et Christian Blachas.

4 commentaires:

Réseau Citoyen Libres a dit…

Bonjour,

Merci pour votre inscription au Réseau Citoyens Libres qui m'a permis de découvrir votre blog très intéressant.

Je vous serais cependant très reconnaissant de bien vouloir m'indiquer l'emplacement du lien fait avec le Réseau.

Dans le cas où ce lien serait effectivement absent et pour respecter la "politique"du Réseau, je serai dans l'obligation de supprimer votre site de la liste des inscrits.

J'attends donc votre réponse.

Bien cordialement.

Le Réseau.

Anonyme a dit…

Intéressant blog et point de vue original. Va faire un tour sur le mien, et si tu veux nous pourrons échanger plus.

Toreador
(http://www.toreador.fr)

Anonyme a dit…

Bonjour,
Je trouve ce post interessant et il reflète tout à fait la raison de ce qu'on appelle "la crise de la presse"... hé oui, si elle se considère comme un 4e pouvoir, pas étonnant qu'elle ne sache pas remplir son rôle. Il n'y en a que 3 dans une République. Les médias n'en font pas partie. Qu'elle se considère comme le 1er contre-pouvoir et rétablisse les enquêtes!
Si vous avez des choses à dire sur les médias, parce que manifestement oui, devenez rédacteur sur http://www.infos-des-medias.net/.,

Anonyme a dit…

Good words.