dimanche 15 juillet 2007

Questions d'argent dans les campagnes politiques

Ce qui est relativement inquiétant dans le système politique actuel, c´est le rôle que joue l´argent dans le processus électoral. Pour exemple, aux Etats-Unis, un candidat qui veut se présenter à une élection primaire doit dépenser près de 20 millions d´euros l´année précédant le premier vote (soit plus de 50 000 € par jour pendant un an !). Les campagnes deviennent dès lors des campagnes entièrement sous le signe du marketing.

En France, à la différence des Etats-Unis, il y a une limitation des dépenses pour les campagnes électorales. Un candidat à une élection présidentielle au premier tour est limité par la loi à 900 000 francs (140 000 €) et à 1 200 000 francs pour le second tour (180 000 €). Le but est de limiter les dépenses pour conserver l’idée d’égalité entre les candidats. L’Etat rembourse un candidat qui a obtenu plus de 5% des votes exprimés.

Au niveau du financement, les dons aux candidats et aux partis sont très strictement surveillés afin d’éviter l’influence de lobbies. Il existe cependant des avantages que des entreprises privées accordent à des candidats sans que cela soit quantifiable.

Aux Etats-Unis, les dons sont seulement surveillés quand ils sont faits aux candidats, mais pas lorsqu’ils s’adressent aux partis. Ce qui fait que des dons considérables sont faits à chaque campagne présidentielle. En 1996, par exemple, Philip Morris a donné 2 508 118 dollars au parti républicain (et US Tobacco 539 253 dollars), RJR Nabisco 1 148 175 dollars ; dans le même temps le parti démocrate recevait 997 050 dollars de Walt Disney et 1 108 425 dollars de Communications Workers of Americ[1]

On comprend évidemment que ces dons ne sont pas désintéressés, ils entrent dans la logique très répandue outre Atlantique du lobbying industriel. En retour de ces « gestes » de soutien pour des partis politiques, des entreprises, voire des industries (celle du tabac par exemple) attendent qu´on leur accorde des facilités dans la vente de leur produits ou des allègements fiscaux. Une entreprise comme Philip Morris a aux Etats-Unis une influence forte sur le gouvernement. Pour exemple, Tommy Thompson, Secrétaire à la Santé et aux Affaires sociales ne voit pas ce qui l'empêcherait d'être impartial en la matière. Il a en effet siégé au conseil d'orientation du Washington Legal Fund, un organisme au service des promoteurs de la cigarette; il a reçu près de 72 000 dollars de fonds de campagne de Philip Morris, entreprise qui a également financé plusieurs de ses voyages à l'étranger, où il s'est employé à vanter les beautés du libre-échange. Il a toutefois été obligé de vendre ses actions de Philip Morris - pour une valeur qu'on estime entre 15 000 et 50 000 dollars -, ce qui est fort dommage pour lui, car on peut supposer que les affaires du secteur vont considérablement prospérer pendant toute la durée de sa présence au gouvernement.

Et, plus intéressant encore, Karl Rove, premier conseiller (« spin doctor ») de George W. Bush a travaillé comme consultant pour Philip Morris. Pendant cinq années, alors même qu'il était conseiller du gouverneur Bush, l´entreprise de tabac l'a payé 3 000 dollars par mois pour bénéficier de ses informations exclusives sur les perspectives du processus électoral et des différents candidats en lice. Depuis qu'il est entré dans le cabinet Bush, Rove a été systématiquement mis en cause pour avoir usé de son pouvoir au profit des entreprises dont il est actionnaire (la valeur globale de son portefeuille d'actions est estimée entre 1 million et 2,5
millions de dollars), encore une manœuvre qu´on pourrait apparenté au lobbying et qui reste liée à la question de l´argent. Ainsi, récemment, Karl Rove a rencontré à plusieurs reprises les dirigeants d'Intel, une autre entreprise dont il est proche et dans laquelle il a des intérêts, pour discuter des conditions d'une éventuelle fusion. La fusion fut approuvée deux mois après ces réunions, et Karl Rove a vendu l´ensemble de ses actions d'Intel un mois plus tard…

La décision de faire appel à une entreprise de conseil est parfois remise en cause par le prix que cela implique. Pour exemple, un candidat qui veut faire une campagne aux Etats-Unis mais qui ne dispose que de 50 000 $ va éprouver des difficultés financières pour faire un sondage qui lui coûterait en moyenne entre 10 000 et 15 000 $, Il en est de même pour une enquête approfondie sur l´adversaire (sur son passé, ses faiblesses, ses fautes,…) qui revient entre 8 000 et 10 000 $. Il serait donc impensable de faire appel à un conseiller personnel, cela serait largement hors budget. Face à cette réalité, de nouvelles entreprises émergent pour les campagnes locales à petits budget et proposent des sondages d´opinion simplifiées aux environ de 2 500 $[2].

Le marketing politique n´est cependant qu´une petite partie de l´univers du marketing commercial. Aux Etats-Unis, par exemple, il ne représente que 2,5% (100 millions de dollars) du chiffre global annuel des dépenses engagées dans l´industrie de recherches et d´enquête marketing (4 milliards de dollars par an). Les mails politiques, eux ne représentent que 2% des mails commerciaux et le télémarketing représente moins de 1% des 385 milliards de dollars dépensés par le marketing commercial[3]. Cependant, il arrive que des sommes considérables soient engagées, pour exemple, lors de la campagne présidentielle américaine de 1996, où Bob Dole dépensa 131 millions de dollars, Clinton 112 millions, Steve Forbes 42 millions et Pat Buchanan 32 millions[4].

En France, pour sa campagne de 2002, Jacques Chirac a déclaré un budget de campagne de 15 millions d´euros, alors qu´un petit candidat, comme Pierre Rabhi, écologiste agronome, a du se contenter de 137 000 € pour sa campagne. On comprend facilement les différences d´investissement dans le marketing politique. D´ailleurs, peu de gens connaissent l´existence de Pierre Rabhi qui a pourtant eu plus de parrainages qu´Antoine Waechter et Brice Lalonde (respectivement 152 et 164 pour les deux candidats écologistes et 181 pour Rabhi, écologiste agronome).

En France, en 1992, un sondage d´opinion auprès de 2 000 personnes, comportant un questionnaire d´une vingtaine de minutes, coûtait entre 300 000 et 500 000 Francs. Une réunion au « Zénith » de Paris coûte, selon le Nouvel Observateur, autant qu´une grande émission de télévision.

Les services de conseillers en marketing et communication politique ont une progression croissante des coûts.



[1] Burns & Reagan, Business Week, 31 mars 1997, The backlash against the soft money.

[2] Perspectives on political consulting, Journal of political marketing, Dennis W. Johnson, 2002.

[3] Ibid.

[4] The Mass Marketing of Politics, Bruce I. Newman.