vendredi 29 juin 2007

Le marketing politique : utile ou destructeur ?

  1. Le marketing politique semble, même si cela est difficile à quantifier, apporter des informations sur la vie politique aux citoyens les moins informés, car, même disséminées dans un message à but de séduction, des indications sur le gouvernement et les grandes questions d´actualité, sont à l´agenda des médias.

  1. Le rapport entre l´intérêt pour la politique des citoyens et le développement du marketing politique n´est pas non plus clair. Avant 1985, le marketing politique existait déjà, et l´intérêt était croissant pour les questions d´ordre politique ; après cette date, le marketing a continué à se développer, mais l´intérêt des citoyens s´est détérioré. La déception des promesses de campagne inspirées par le marketing, ainsi que les nombreuses affaires sur les financements des campagnes ont terni l´image de la politique (de même que les chiffres du chômage et l´incapacité des gouvernements à résorber ce fléau).

  1. En ce qui concerne la participation aux élections, il y a un parallélisme entre le développement du marketing politique et l´augmentation de l´abstention ou du vote blanc dans certains pays européens. Aux Etats-Unis, la tendance est inverse. Il semblerait qu´en Europe, le marketing ait dédramatisé les élections et favorisé l´augmentation des comportements « anti-politiques ».

  1. Par rapport au militantisme politique, il existe un rapport inverse entre développement du marketing et diminution des militants. Mais, encore une fois, le rapport ne peut être mesuré avec précision.

  1. Quant à l´instabilité des votes, elle semble avoir un développement parallèle à celui du marketing politique. Mais, il n´en est pas l´unique cause : les facteurs économiques -chômage, crise économique,...- ainsi que l´information croissante des électeurs fait que le comportement des électeurs est plus rationnel par rapport à leurs attentes politiques. Ils votent pour un programme qui leur convient mieux plutôt que pour imiter leur entourage.

mercredi 20 juin 2007

Journalistes et démocratie (2)

Le film Pas vu Pas pris, sur la connivence cachée entre les médias et le pouvoir est en quelque sorte l´écho audiovisuel de ce que Serge Halimi exprime dans son livre Les Nouveaux Chiens de garde : les journalistes trouvent leur heure de gloire quand ils interviewent le Président de la République.

Il prend un exemple : 15 novembre 1995, annonce du plan Juppé. Il prévoit, pour redresser les comptes de la Sécurité Sociale, l’établissement d’une loi annuelle de la Sécurité Sociale qui fixe les objectifs de progression des dépenses maladies et envisage la mise en place de sanctions pour les médecins qui dépassent cet objectif. De plus, le plan Juppé prévoit une réforme des régimes spéciaux de retraite ainsi qu’une augmentation des annuités de cotisations des fonctionnaires de 37,5 à 40 années, ce qui provoque un vaste mouvement social.

« En novembre-décembre 1995, tout s’exprima à la fois : le soutien au pouvoir, l’arrogance de l’argent, le mépris du peuple, le pilonnage d’une pensée au service des possédants. Un grand sursaut populaire a aussi ceci d'utile : il révèle simultanément la puissance du conditionnement idéologique que les médias nous infligent et la possibilité d'y faire échec. Lors du mouvement de lutte contre le plan Juppé, la clameur quasiment unanime de nos grands éditorialistes[1] n'a en effet pas empêché des centaines de milliers de salariés de se mettre en grève, des millions de citoyens de manifester, une majorité de Français de les soutenir. Pourtant, s'il faut une occasion aussi considérable pour que se révèle crûment la loi d'airain de notre société du spectacle — à savoir le fait que la pluralité des voix et des titres n'induit nullement le pluralisme des commentaires — combien de petites violences la vérité et l'analyse subissent-elles quotidiennement dans le silence totalitaire de nos pensées engourdies ? »[2]



[1] Selon un sondage d'Ipsos-Opinion publié par Le Nouvel Observateur du 14 décembre, 60 % des médias ont jugé favorablement le plan Juppé contre 6 % seulement qui l'avaient apprécié de manière négative. Pierre Joxe, Françoise Giroud, Bernard-Henri Lévy, Jean Daniel, Jacques Julliard, Pierre Rosanvallon, Raymond Barre, Alain Duhamel, Libération, Guillaume Durand, Alain Touraine, André Glucksmann, Claude Lefort, Gérard Carreyrou, Esprit, Guy Sorman ... tous approuvèrent un plan à la fois "courageux", "cohérent", "ambitieux", "novateur" et "pragmatique."

[2] Les Nouveaux chiens de garde, Serge Halimi

jeudi 14 juin 2007

Les journalistes et la démocratie (1)

Dans les années 70, aux Etats-Unis, deux simples journalistes, Bob Woodward et Carl Bernstein, d´un journal sérieux, mais loin d´être leader, le Washington Post, renversent le président des Etats-Unis, Richard Nixon. Durant les années 70 et 80, le journalisme est interprété comme le « quatrième pouvoir », une solution contre les défaillances ou les excès des trois autres[1] (exécutif, législatif et judiciaire), un garde fou pour la démocratie. Cependant, depuis quelques années déjà, sondages et enquêtes montrent que la confiance des citoyens s´effrite envers certains médias Serge Halimi parle de journalisme de révérence : « Les médias français se proclament contre pouvoir. Mais la presse écrite et audiovisuelle est dominée par un journalisme de référence, par des groupes industriels et financiers, par une pensée de marché, par des réseaux de connivence. Un petit groupe de journalistes omniprésents impose sa définition de l´information-marchandise à une profession de plus en plus fragilisée par la crainte du chômage. Ils servent les intérêts des nouveaux maîtres du monde, ils sont les nouveaux chiens de garde. »[2] William Randolph Hearst, le magnat de la presse qui inspira Orson Welles pour Citizen Kane, répétait à ses journalistes : « N´acceptez jamais que la vérité vous prive d´une bonne histoire. » Les tabloïds de Rupert Murdoch semblent avoir la même éthique.

En 1995, Pierre Carles réalise un reportage, Pas vu à la télé, pour Canal+ qui fait une «Journée de la Télé » centrée sur les thèmes : « la télévision, le pouvoir, la morale ». Le début montre une conversation privée, en voix off, entre Etienne Mougeotte, vice-président de TF1 et François Léotard, alors ministre de la Défense, juste avant que ce dernier ne passe à l'antenne en direct dans le journal de 20h00 de TF1, depuis la base militaire de Fréjus, pour le 50ème anniversaire du débarquement. Une conversation qui, captée par un satellite, retranscrite dans le Canard Enchaîné et Entrevue, ne sera jamais diffusée à la télévision. A aucun moment, il ne présente cette discussion comme un scoop; il s´agit d´une conversation amicale entre deux personnes qui se connaissent bien, fréquentent les mêmes personnes, les mêmes lieux… Sur la fin de l´entretien, on comprend clairement qu´Etienne Mougeotte tente une amorce de lobbying, notamment à propos de la révision du cahier des charges du service public. Comment se fait-il que ce document n´ai jamais été diffusé à la télévision ? C´est la question que Pierre Carles décide de poser directement aux intéressés, aux journalistes réputés. Alain Duhamel, Guillaume Durand, Bernard Benyamin, Patrick de Carolis… Il commence par leur demander de façon anodine : « Y'a-t-il des sujets tabous à la télévision ? - Non, non, enfin moi, je n'en connais pas… », puis interroge brusquement sur les relations entre médias et pouvoir politique.

Charles Villeneuve : « On vend une information transparente, alors il faut que les journalistes, et les politiques, soient transparents ».

Ensuite, Pierre Carles leur montre son enregistrement, qui montre une connivence évidente et qui lui pose « un petit problème moral ». Les différents interviewés deviennent blême, se décomposent, l'un d'eux vient même à s'irriter violemment, un autre enfin demande de stopper l'interview. Les journalistes sont certes transparents, mais ils ne supportent pas de se trouver en face de leurs propres contradictions. Rares sont ceux qui sortent indemnes de cette confrontation[3].

Canal+ refusera de diffuser ce film et Pierre Carles réalisera un film relatant cette censure : Pas vu, Pas pris. Ce film fut, à son tour, interdit de sortie en salle, jusqu´à une souscription pour obtenir les fonds manquants pour la sortie du film en salles. L'opération est soutenue par Charlie Hebdo et largement relayée par la presse écrite. 3.440 personnes répondent à l'appel et versent les 600.000 F nécessaires au rachat de "Pas vu à la télé" à Canal+.



[1] Définition de Montesquieu.

[2] Les Nouveaux Chiens de garde, Serge Halimi, Liber-Raisons d´agir, 1997

[3] Jacques Chancel et Christian Blachas.

lundi 4 juin 2007

Marketing des campagnes américaines

Avant 1952, les élections présidentielles ont toujours été organisées comme des projets de partis politiques. Ils choisissaient les candidats et organisaient la campagne autour.

Avec l´arrivée de la télévision, les candidats ont eu l´opportunité de pouvoir développer leur image et la montrer à un public beaucoup plus nombreux. Au lieu de s´adresser à quelques centaines de personnes, les candidats purent parler à plusieurs milliers de téléspectateurs. Ils avaient enfin un media de grande puissance.

En 1952, Dwight Eisenhower devint le premier candidat à utiliser la télévision dans une campagne présidentielle. Pour soutenir sa candidature, il tourna une série de spots commerciaux qui portait le nom de « Eisenhower répond à l´Amérique ». Des acteurs lui posent des questions simples et lui expriment leurs problèmes, il leur répond qu´il est temps de changer, que leur vote est important. Même si ces spots paraissent aujourd´hui comiques, il faut les situer historiquement pour bien les comprendre. A l´époque, la télévision était un média nouveau et les téléspectateurs étaient plus naïfs, moins habitués à ce qu´on leur parle directement de politique à la télévision. Aussi, cette campagne fut extrêmement efficace à l´époque.

Cependant, la véritable césure, le véritable tournant des campagnes électorales a du se produire en 1960, l´année du débat télévisé entre John F. Kennedy et Richard Nixon. Les deux protagonistes avaient été soigneusement préparés à cette nouvelle épreuve par des experts en communication de Madison Avenue.

Kennedy était beaucoup plus télégénique et relaxé. Aussi, il est amusant de remarquer que les gens l´ayant vu à la télévision le donnaient gagnant du débat, grâce à son apparence, car les regards perdus de Nixon et surtout ses perles de sueur sur sa lèvre supérieure ont détruit son image. En revanche, les personnes ayant suivi le débat à la radio donnaient Nixon vainqueur, car ses arguments étaient beaucoup plus convaincants.

En 1964, Lyndon Johnson mena une campagne médiatique qui alla encore plus loin dans l´utilisation des médias. En effet, il introduisit la publicité négative, dont l´unique but était de décrédibiliser l´adversaire. L´exemple le plus connu est celui de « Daisy » : une petite fille est dans un pré, elle retire les pétales d´une marguerite une à une, en faisant un décompte entre dix et zéro, puis, la caméra s´approche de la petite fille, symbole d´innocence et de douceur et s´arrête sur son visage. La voix enfantine se disloque et se transforme en voix de militaire qui finit un décompte avant le lancement d´un missile. La caméra, centrée sur le visage de la petite fille montre le reflet d´une explosion nucléaire dans ses yeux. A la fin du film, la voix de Johnson s´élève, rassurante et dit qu´il faut faire un monde dans lequel tous les enfants de Dieu peuvent vivre en paix, sinon, le monde va s´enfoncer dans les ténèbres. Il ajoute que les hommes doivent s´aimer les uns les autres, sinon ils doivent mourir. Par ce message, qui semble de prime abord pacifique, Johnson fait passer l´idée que si son adversaire républicain était élu, il se lancerait dans une escalade de la guerre au Vietnam et risquerait d´utiliser une arme nucléaire. Il utilise l´idée que les citoyens ont de Barry Goldwater, son concurrent, lui qui a dit que l´arme nucléaire n´était "qu´une simple arme en plus". Il utilise alors l´émotion pour attirer le scrutin vers lui.

1968, Nixon se représente, il refuse de subir le même revers que contre Kennedy. Il améliore son image, et communique comme un homme qui a une véritable expérience de la politique. A son tour, il utilise les techniques marketing les plus avancées et s´entoure de professionnels de la communication de Madison Avenue : John Haldeman et John Erlichman.

Cette campagne tourne en une véritable bataille médiatique entre Nixon et Hubert Humphrey. Nixon s´applique donc, à polir son image et s´entoure de sondeurs et de conseillers pour améliorer sa campagne de communication.

De nombreux spécialistes considèrent que cette campagne est la première où on a traité un homme politique comme on s´occupait jusqu´alors de produit de consommation. Plus encore, c´est à partir de cette campagne que la logique a changé : les politiciens américains, depuis lors ne se présentent plus comme simplement aux citoyens, ils se présentent comme des personnalités médiatiques.[1]

En 1976, Jimmy Carter accentue encore l´effort marketing. Limité dans les dépenses par la réforme de la FECA (Federal Election Campaign Act) de 1971, le candidat démocrate s´appuie sur son sondeur, Pat Cadell pour développer une nouvelle technique qui va encore une fois éloigner le politicien de son parti. En effet, ils mettent en œuvre une segmentation du marché des électeurs, de manière à pouvoir distribuer à chaque pool le message qu´il a envie d´entendre. Gerald Ford, se contenta de simples apparitions télévisuelles.

Encore un progrès lors des élections américaines de 1980 avec Ronald Reagan : le candidat républicain en lice est un ancien acteur (notamment A bout portant - The Killers, 1964, de Don Siegel avec Lee Marvin et John Cassavetes) qui est habitué aux caméras, qu´il côtoie depuis son premier film en 1937. Il sait donc naturellement utiliser ce média pour en tirer le meilleur avantage, Alors que son adversaire, Walter Mondale est peu à son aise devant la focale. Reagan emploie des thèmes très simples, dépouillés, comme la famille, mais insiste sur son image celle d´un leader. Il utilise toutes les méthodes utilisables : publicité négative pour détruire l´image de son adversaire démocrate, sondages, …

Richard Wirthlin, responsable des sondages de Ronald Reagan appuie sa campagne sur deux bases principales : les focus groups[2] et les sondages qu´il faits sur l´ensemble du territoire.

Avec l´aide du marketing, le but est de dépasser ce qu´indique les sondages : un sondage donne des intentions de vote, alors qu´avec le marketing, on cherche à savoir pourquoi tel segment de la population est sensible à un candidat plus qu´à un autre, et on peut adapter son discours pour s´accaparer une partie des électeurs de l´adversaire.

Et il y a réellement dans cette élection une opposition entre la vieille politique et la nouvelle. Alors que Reagan s´appuie sur son image, sa rhétorique et le marketing, Mondale reste campé sur des concepts de partis et réutilise les arguments classiques des démocrates.

En 1984, Reagan utilisa ses acquis et se gratifia d´avoir rendu aux Etats-Unis leur grandeur et leur force.

En 1988, George Bush utilisa les mêmes méthodes que Reagan et attaqua Michael Dukakis avec de la publicité négative. Ce dernier refusa de répondre aux attaques et par là perdit la campagne marketing. Bush insista et une publicité sur Willie Horton le mit en tête des sondages. En effet, ses conseillers, spin doctors, de l´époque, emmenés par James Baker, qui deviendra ministre des affaires étrangères, n´hésitèrent pas à utiliser un fait divers du Massachusetts, où Dukakis était gouverneur pour détruire son image : Willie Horton, un noir américain, condamné à perpétuité pour viol et meurtre, profite d´un week-end de liberté conditionnelle pour à nouveau poignarder et violer une femme. Ce spot évoquant Horton fut diffusé en boucle et discrédita totalement le candidat démocrate et rappela aux américains un thème qui leur a été longtemps cher : l´homme noir est le criminel, le violeur, le coupable.

De son côté, Dukakis fit une campagne médiatique tout à fait correcte, mais ne réussit pas à démontrer comme il le voulait que la campagne de son adversaire était entièrement basée sur le marketing.

Il y a donc eu depuis 1952, aux Etats-Unis, un renversement dans les méthodes de mener une campagne : alors que les hommes politiques s´appuyaient sur les arguments politiques des partis et mettaient en avant de réelles valeurs idéologiques, politiques et économiques, ils se sont progressivement mis à utiliser le marketing de façon massive en préférant mettre en exergue l´homme qui mène la campagne et décrédibiliser son adversaire, récupérer son électorat potentiel.

La politique des partis est devenue une politique de mass marketing. Et, avec les élections de Bill Clinton, puis celle de George W. Bush, cette tendance n´a cessé de s´accentuer, devenant parfois même un modèle pour d´autres pays, notamment la Grande-Bretagne (Cf. 3.1.1).

Le candidat est de moins en moins élu sur un programme qu´il va mettre en place par la suite. Il se construit plus une image qui va lui permettre de remporter son élection. C´est seulement ensuite qu´il tentera d´appliquer un véritable programme, une fois que le pouvoir sera déjà acquis. Jean-Paul Gourévitch[3] évoque "l´actionnariat politique " quand il parle de ce type de situation : les mesures se font par les votes et les intentions de vote données par les sondages. L´élection se base encore une fois sur des promesses, qui répondent mieux que d´autres aux attentes de la majorité. C´est ce qu´il appelle le capital du candidat. Mais, comme tout capital dans un système de marché, le candidat doit s´en servir et le mettre en jeu.
Dès lors, soit il choisit de satisfaire ses "actionnaires" qui ont déjà voté pour lui pour récupérer les "dividendes" soit, au contraire, il décide de s´attaquer à de nouveaux marchés, des personnes qui n´ont pas encore voté pour lui, en séduisant les actionnaires de ses adversaires. Il s´agit alors d´une « politique d´investissement ».

Aussi, la communication politique, de plus en plus basée sur le marketing et les principes du marché, se base sur la gestion d´un électorat et sur une certaine éthique de la transaction pour conquérir de nouveaux actionnaires…



[1] Krauthammer C., Chicago Tribune, 6 janvier 1995.

[2] Le focus group est un échantillon de population, rémunéré, auquel on demande de réagir aux phrases et images d´un candidat. Ils s´expriment via un ordinateur, ce qui permet de suivre et de juger l´acceptabilité d´une déclaration ou d´une apparition et de l´améliorer.

[3] L´image en politique.