lundi 10 septembre 2007

Les leaders d'opinion

De nombreuses études pratiquées aux Etats Unis ont analysé les processus de transmission des informations ainsi que les mécanismes qui amènent les individus à construire leur opinion sur des sujets divers. L´objectif d´origine était de vérifier l'impact supposé important des moyens de communication de masse.
Les résultats montrent qu'on est très loin d'une image où une multitude d'individus seraient exposés directement et sans filtre à un mitraillage à sens unique d'informations et d'idées.
En réalité les personnes fondent leurs opinions sur des informations qui leur sont transmises non pas par les médias mais par d'autres personnes qu'on appellera "leaders" ou "relais" d'opinion. C'est à dire qu'une information ne va apparaître comme "utilisable" par des personnes que dès lors qu'elle sera retransmise par quelqu'un de relativement "proche".
Cette théorie, qu'on doit à Paul Félix LAZARSFELD, se base sur trois études:

- The people's choice[1]: (durant la campagne présidentielle américaine de 1940, Roosevelt/Wilkie).

Les chercheurs avaient l'objectif de définir les différents facteurs décisifs dans le choix des électeurs. L'endroit choisi pour l'étude fut le comté d'Erie, dans l'Etat d'Ohio, représentatif au niveau des votes des élections présidentielles précédentes. Les chercheurs ont privilégié la radio (l'étude fut réalisée avant l'implantation de la télévision).
Contrairement à l'attente, il est apparu que la campagne eut très peu d'influence sur l'intention de vote des électeurs. En effet, les chercheurs ont pu constater que les individus qui appartiennent au même milieu socioculturel et partagent plus ou moins les mêmes pratiques ont une forte propension à se comporter d'une manière similaire lors de vote. Toutefois, cela ne voulait pas dire que la campagne n'avait aucun effet ou même qu'elle n'avait pas réussi à convertir des électeurs. Mais la découverte essentielle fut que l'impact fondamental de la campagne a été le renforcement de l'intention "originale" chez les uns et l'activation des prédispositions latentes chez les autres.
Ainsi ont-ils souligné l'effet relatif des médias et ont mis l'accent sur l'importance des contacts personnels, c'est à dire qu'ils ont attiré l'attention sur le fait que le processus de communication n'est pas vertical, venant du haut vers le bas, mais plutôt horizontal. Il est apparu pour la première fois le "leader d'opinion" et son rôle dans le processus de la communication.

- Mass persuasion[2] :

Au départ, il s'agissait d'étudier les fonctions remplies par un hebdomadaire national auprès des lecteurs. Le lieu d'investigation fut une petite ville dans le New Jersey, Rover.
Or, il est apparu que cet hebdomadaire était utilisé de manière très différente par ses lecteurs en fonction de leur degré d'influence dans leur ville. Au cours des interviews les chercheurs ont fait d'étonnantes découvertes qui ont élargi la connaissance sur le leader d'opinion et sur le lien entre lui et la communication de masse.
Afin de localiser les personnes influentes, MERTON demandait aux sujets interviewés de désigner les gens auxquels ils s'adressent pour obtenir une information ou un conseil sur un certain nombre de questions. Quelques centaines de noms ont été donnés, dont quelques douzaines furent mentionnés à plusieurs reprises. Les personnes désignées quatre fois ou plus furent considérées comme influentes ou leaders.
Finalement, il est apparu que le concept "influent" n'a pas de valeur discriminatoire. Il existe différents types d'influents. Ils en ont trouvé deux sortes, particulièrement importantes dans la communauté étudiée : le "leader local", qui s'intéressait essentiellement aux problèmes locaux, et le "leader cosmopolite", considéré comme expert dans les problèmes dits extérieurs. Les deux types de leaders avaient un comportement de consommation de média différent. Si tous les deux étaient de grands consommateurs de médias, le premier consommait surtout les moyens de communication de masse locaux, tandis que le "cosmopolite" était surtout intéressé par les produits de communication nationaux.
Par conséquent, les chercheurs ont conclu que ce ne sont pas les mêmes personnes qui sont considérées comme influentes dans tous les domaines, et le comportement communicationnel des leaders est relatif à leur centre d'intérêt.

- Personal influence[3] :

Une autre étude fut faite en 1946, auprès de 800 femmes à Decatur, dans l'Illinois, une ville de 60 000 habitants. Les chercheurs se sont particulièrement intéressés à déterminer l'impact de l'influence personnelle par rapport à l'impact des médias, au niveau de la décision, dans quatre domaines différents: marketing, mode, affaires publiques et cinéma.
Il est apparu que le contact personnel joue nettement plus que les médias dans la décision des femmes. En effet, les conversations apparaissent dans les enquêtes comme un élément décisif plus souvent que le contact avec n'importe quel moyen de diffusion collective.
Mais il n'existe guère d'individus ayant dans ces matières une autorité générale. En revanche plus de quatre personnes sur dix exercent autour d'elles quelque influence, dans des conditions qui dépendent spécifiquement du thème concerné : par exemple, les femmes mariées sont plus demandées comme conseillères dans les domaines relatifs au ménage. Dans le domaine de la mode, ce sont surtout les jeunes, et surtout les jeunes célibataires du sexe féminin, qui ont le plus d'influence. Quand il s'agit de l'actualité, les moins jeunes, et particulièrement les hommes d'un certain âge sont ceux qui agissent le plus sur les opinions de leur entourage.
De cette étude, ressortait la certitude que le contenu de la communication touche l'audience d'une manière indirecte, à travers les médiateurs, mais il est possible, ont conclu les chercheurs, qu'il existe plusieurs étapes. Les leaders d'opinion eux-mêmes quelquefois, demandent l'opinion ou le conseil d'autrui. La conclusion de l'étude réalisée auparavant par Lazarsfeld, Berelson et Gaudet, à savoir que les leaders sont généralement de grands consommateurs de média, semblait encore une fois corroborée par l'étude.



[1] Paul Félix LAZARSFELD, B. BERELSON et H. GAUDET, New York, Duell, Sloan & Pearce (1944)

[2] Robert K. MERTON, New York, Harper & Row (1946).

[3] Elihu KATZ et Paul Félix LAZARSFELD, New York, Free Press (1955).