samedi 19 mai 2007

Spin-doctors, exemples et méthodes

La deuxième partie de l´année 2003, après les incidents survenus en Irak, voit une critique croissante de ce que l´on appelle les spin-doctors. Le conseiller le plus proche du Premier ministre britannique démissionne le 30 août et quitte le 10 Downing Street après sept ans passés auprès de Tony Blair. Bien que blanchi par le rapport Hutton dans le cadre de l´affaire Kelly[1], Alastair Campbell, le conseiller en question se retire de son poste. Dans le même temps, aux Etats-Unis, Karl Rove, spin-doctor de George W. Bush, est à son tour soupçonné d´avoir eu un comportement proche de celui de son homologue britannique[2]. Ces soupçons, survenant en même temps, sur les deux conseillers les plus puissants de la planète, ont fait poser beaucoup de questions. Comment ces spin doctors ont-ils réussi à prendre une place aussi importante dans le pouvoir ? Sûrement parce qu´ils ont la technique du pur marketing électoral comme méthode de travail, et qu´elle s´est longtemps révélée efficace. Aujourd´hui, on reprend les termes de Serge Tchakhotine[3] : « Le viol des foules par la propagande politique » pour évoquer ces méthodes.

On cite souvent comme précurseur de cette utilisation massive des médias, le célèbre James Carville, qui a mené la campagne de Bill Clinton en 1992. Il a, pour cette occasion, créé la « War Room[4] ». Le but est de centraliser en un seul endroit l´ensemble des informations et des réactions qui pourraient être utilisées par les médias Il s´agit d´une réflexion qu´a eu James Carville suite aux élections précédentes, pendant lesquelles Michael Dukakis avait été incapable de répondre aux attaques du clan républicain. « Il ne faut plus seulement répondre aux attaques, il faut le faire avant même qu’elles soient diffusées ou publiées, quand le journaliste s’interroge encore sur l’écho qu’il devrait y donner. » [5]

M. Stephanopoulos ajoute : « Il nous fallait apparaître acharnés, agressifs et imprévisibles, pour mieux intimider. La War Room ne ferma jamais. Jour et nuit, des équipes de jeunes volontaires se relayèrent afin de suivre chaque geste de Bush sur leurs ordinateurs. Une antenne satellite collectait tous les programmes, interceptant parfois une publicité républicaine avant qu’elle soit diffusée, au moment où elle venait d’être envoyée à une télévision locale. (...) Nous avons même réussi à rédiger et à distribuer à la presse une réponse point par point au discours officiel de candidature de Bush alors que le président n’avait pas encore atteint le podium pour le prononcer. »[6] Il dira même : « Peut-être était-il temps pour le Parti démocrate de sacrifier sa pureté idéologique pour valoriser son potentiel électoral.»

Un peu plus tard, en 1997, le Parti travailliste britannique refait surface, après une absence de pouvoir de 18 ans. Les techniques utilisées pour la campagne sont largement inspirées des campagnes américaines : en effet, Philippe Gould[7] et Peter Mandelson[8] rendent visite à James Carville et son sondeur, Stanley Greenberg, pour étudier ses méthodes de travail[9]. A leur retour, les méthodes américaines vont être appliquées au Parti travailliste.

Ils retiennent ces leçons :

- dans le contexte actuel, où l´information est en flux continu, il n´y a plus de temps pour faire de pause. Il faut, comme la War Room être aux aguets de la presse 24h/24h.

- il faut centraliser le flux d´information en un point pour toujours pouvoir accéder à l´ensemble.

- Il faut être capable, comme Carville l´a fait, de répondre à chaque attaque, avant qu´elle ne s´éparpille dans les médias.

Et, en mai 1997, alors que Tony Blair arrive au pouvoir, Alastair Campbell convoque les fonctionnaires chargés de la communication du gouvernement :

« - Alors, quels seront les gros titres demain ?

- …

- A partir de maintenant, c'est à vous de déterminer l'actualité du jour.[10] »

Ce conseiller de premier choix ne laisse rien au hasard, il peut répliquer à chaque instant à une attaque de l´opposition. Il sait qu´en Grande Bretagne, la presse est la plus concurrentielle du monde avec onze quotidiens nationaux et neuf journaux dominicaux qui sont dans une lutte sans merci (plus de 14 millions de journaux sont imprimés chaque jour). Aussi, il décide de faire ce que faisait Ronald Reagan, sous les conseils de James Baker, quand il était président : il alimente lui-même la presse, pour orienter l´information.

Dès lors, c´est une douzaine de personnes qui passent leurs journées à scruter les médias (comme on l´a vu pour la campagne de VGE en France), mais ils vont encore un peu plus loin, ils alimentent une base de données : Excalibur, l´épée du roi Arthur ! Avec cette avancée technologique, l´écoute des médias est devenue totale, et le but est de tuer toutes les rumeurs dans l´œuf.

« Ainsi, le 11 mars 1997, à la Chambre des communes, on vit un porte-parole du Labour, Brian Wilson, se lever et lire son pager, en réponse à une remarque d'un collègue conservateur... Le texte de son intervention lui était envoyé en temps réel du siège du parti, où un militant avait interrogé le programme Excalibur, qui lui fournit sur-le-champ l'essentiel de l'argumentation... »[11]

Mais les spin doctors de Tony Blair ne s´arrêtent pas là, ils tiennent à tester les messages, et Tony Blair en est, parait-il très friand : le principe est de faire entendre le message à des « Focus Group », des segments de population qui sont à convaincre en particulier, pour mesurer directement les réactions causées par une annonce, ou une petite phrase de Tony Blair.

On peut par exemple observer les méthodes de contrôle de l´information utilisées par les spin-doctors (guider la perception des actualités, d’influencer l’interprétation des événements ainsi que d’encadrer l’opinion publique) pendant la guerre en Irak :

  1. Conserver et maîtriser l´initiative de l´information. Le but étant d´empêcher toute contre-propagande. Des reportages déjà préparés ont été remis aux journalistes, ainsi que des photos,… même des COM CAM, des caméras mises au point pour la guerre en Irak qui permettent de voir en « live » la chute d´une bombe après son largage, jusqu´à son explosion.

  1. Les conférences de presse officielles ont fait du gouvernement la seule source d´information. Des Media Operators ont été créés pour l´occasion, il s´agit de centres médiatiques qui centralisent l´ensemble des informations en provenance du front. Ils permettent de diffuser les informations comme les mediaplanneurs placent leurs publicités : au moment où les gens sont le plus à même d´être téléspectateurs.

  1. « L´Embeddness » : le fait de permettre aux journalistes de suivre les unités de combats pour qu´ils puissent relayer en « live » les affrontements et qu´il se crée une empathie entre ces chroniqueurs et les soldats et qu´une réelle émotion ressorte des reportages. Avant la guerre en Irak, des camps de formation pour journalistes ont été créés pour influencer leur interprétation et renforcer leur chauvinisme. Les journalistes se retrouvaient dans les mêmes conditions que les soldats, parfois en équipe avec eux, à faire les mêmes expériences. Le seul but étant d´encadrer l´opinion publique dans les informations qui vont lui être transmises.

Ce sont là les méthodes qu´utilisent les spin-doctors pour influencer l´opinion :

    • Garder l’initiative de la communication, être présent à toutes les étapes de la communication et ne rien laisser passer auparavant…
    • Utiliser des images, des vidéos façonnées pour appuyer le message.
    • Créer des centres d´opérations où toutes les informations sont rassemblées (comme la War Room de James Carville).
    • Influencer des journalistes, des reporters « embedded ».

Suite aux problèmes causés par les fausses informations sur la menace irakienne, Alastair Campbell a démissionné, mais reste conseiller de Tony Blair. Aux Etats-Unis, Karl Rove conserva son bureau à la Maison Blanche, à savoir celui qu´occupait Hillary Clinton durant les deux mandats précédents.



[1] David Kelly, employé au ministère de la défense britannique s´était donné la mort après avoir annoncer à la presse que le gouvernement avait falsifiait des informations concernant les armes de destructions massives possédées par l´Irak et par ce biais justifié l´intervention militaire. Le rapport Hutton, nom du juge de l´instruction, a demandé à la BBC qui avait diffusée ces informations de faire des excuses publiques au gouvernement.

[2] Joseph Wilson, un diplomate retiré du service actif, a raconté qu'il avait été chargé par la CIA, en février 2002, d'aller enquêter au Niger sur la tentative qu'aurait faite l'Irak de Saddam Hussein d'y acheter de l'uranium. Il en est revenu convaincu que l'information sur cette tentative d'achat d'uranium était fausse. Il a mis en cause Karl Rove, spin doctor de George W. Bush, d´être à l´origine de cette rumeur et d´avoir diffusé l´information selon laquelle sa compagne, Valerie Plame, appartient à la CIA.

[3] Le viol des foules par la propagande politique, Serge Tchakhotine, Gallimard, octobre 1992.

[4] Le terme a été inventé par Hillary Clinton est a fait l´objet d´un film du même nom en 1992.

[5] James Carville.

[6] All Too Human: A Political Education, George Stephanopoulos, Little Brown, New York, 1999.

[7] Consultant stratégique du New Labour.

[8] Promoteur de la modernisation du Parti travailliste, il sera députe´, ministre et spin doctor de Tony Blair.

[9] Jean-Gabriel Fredet, Le Nouvel Observateur.

[10] Libération, Les docteurs Folimage, 30 septembre 2003.

[11] L'Express 02/10/1997, Tony Blair le magicien, Marc Epstein

jeudi 17 mai 2007

Publicité politique et histoire (JP Gourévitch)

On a souvent fait la différenciation entre la propagande, qui fait la promotion d´une idée, la publicité, qui elle avait pour but de promouvoir un objet, et le star-system, qui faisait la promotion d´une personne.

Pourtant, quand on regarde aujourd´hui la communication politique et les méthodes utilisées pour la mettre en œuvre, on remarque qu´il y a une fusion de ces méthodes qui forme la communication politique, qui semble se transformer en un véritable festival d´images.

Georges Peninou, qui fut directeur de l´agence Intelligences et directeur de recherche chez Publicis, avait une autre théorie : il opposait la publicité, qui est prescriptive, dans le sens où elle accepte et survit grâce à la concurrence et la propagande, elle proscriptive, par le simple fait qu´elle refuse toute concurrence.

Cette thèse semble elle aussi aujourd´hui difficile à défendre, dans le cadre de campagnes de publicités commerciales agressives (parfois même comparatives et négatives), et dans des courses électorales qui se jouent sur la séduction, plus que sur la dénonciation.

Aujourd´hui, à l´époque où Internet permet une communication sans limites avec les connectés, on continue d´utiliser les anciennes méthodes de communication classique : réunions, distribution de tracts, … cela signifie que la communication politique s´est bâtie sur une suite de strates successives.


La publicité politique n'est pas une chose nouvelle, mais elle se démarque de la propagande. Dans les démocraties, elle est devenue nécessaire pour faire connaître les candidats aux citoyens qui vont ensuite voter. Elle a pour enjeu une élection et pour cadre une campagne électorale. C'est cela qui la différencie de la propagande, qui est réalisée par le pouvoir d'un Etat autoritaire (l'Italie de Mussolini, l'Allemagne nazie...) ou par des démocraties en temps de crise (Campagnes de recrutement en Grande Bretagne et aux Etats-Unis pendant les deux guerres mondiales);

Jean-Paul Gourévitch[1], cherche à situer les grands moments de la publicité politique dans l´Histoire. Il n´accorde le titre d´inventeur ni à Goebbels, ni à Machiavel, ni à Gengis Khan, ni même à l´Eglise, mais au serpent de la Bible.

Il crée la stratégie du désir (celle de la publicité) en présentant la pomme à Eve, puis il réussit à la convaincre de la faire goûter par Adam. Il fait donc d´Eve un leader d´opinion et invente la propagande[2].

On peut dresser une rapide histoire de la propagande politique, qui se construirait en quatre périodes[3] :

  1. L'âge de l'édification au sens architectural et moral du terme. C´est à dire l´époque où les Pharaons construisent les pyramides et récupèrent toutes les constructions en les signant de leur nom (comme le fit à outrance Ramsès II), des arcs de triomphe, des défilés d´hommes. A côté de l´édification de ces monuments, on retrouve aussi la propagande dans la culture : spectacles (jeux romains, grands travaux, fêtes royales...) et l´information (album, graffiti, discours où on harangue la foule, pièce de monnaie à l´effigie du chef ou de sa politique, …)

  1. L'âge de la propagation : le but est de faire circuler un message pour qu'il soit entendu par le plus de personnes possible et qu'il les conditionne. C'est dans cet objectif que communiquaient les systèmes politiques du Moyen Age, puis les croisades et l'inquisition. C'est d'ailleurs à cette époque que le mot propagande prend une acception politique.

L´invention de l´imprimerie par Gutenberg en 1440, va totalement bouleverser les anciennes pratiques, bien qu´il y ait des affiches manuscrites depuis le début du XVe siècle (Charles VIII les fait interdire en 1407). La propagande par l'image imprimée se banalise à l´époque de la réforme. Luther l'utilise très largement dans ses libelles. Puis, en octobre 1534, est organisée la première opération d'affichage sauvage : « L'affaire des placards ». Elle entraîne l'édit du 13 novembre 1539 de François 1er. Ce dernier comprend le pouvoir de l'écriture et met en place un système de privilège dans la communication par l´écrit.

Malgré les réglementations de l'affichage sauvage, il y a des placards que le pouvoir tolère comme celui de 1762 sur l'expulsion des Jésuites.

  1. L'âge de la persuasion. Une opinion publique commence à se former. Elle sera affirmée par la Révolution Française.

L´affiche demande au passant : « Arrête et lis » ! Le but dans ce cas et de le sensibiliser pour qu´il prenne conscience qu´il doit aller voter. Il doit se mobiliser, manifester, croire au changement.

On remarque cependant que les affiches politiques de la fin du XIXe siècle et du début XXe sont essentiellement textuelles, très peu graphiques, et d´ailleurs peu nombreux sont les artistes qui s´adonnent à ces pratiques (Steinlen, Grandjouan, Luce et Jacque,…) ; de son côté, l´affiche commerciale montre son produit pour que le consommateur ait envie de l´acheter.

Les institutions communiquent sur leurs actions: l'Armée gagne et garantit la sécurité, l'Ecole emmène au progrès et à la prospérité, la République assure l'égalité et le bonheur de tous, la Patrie réconcilie les Français avec l'histoire et la Colonisation exporte l´idéal français (par exemple) vers des peuples sous développés qui ont tout à apprendre.

  1. Le 4e âge de la propagande est celui de la grande diffusion.

Il commence avec la Première Guerre Mondiale, l´information est véhiculée par tous les canaux de communication possibles de l´époque : presse, radio, journaux, tracts, affiches, cinéma.

Donner son or, le retour du père, les atrocités allemandes, devenir poilus… tout le monde est concerné par cette communication répétitive de masse qui prend une ampleur encore jamais atteinte auparavant.

Pour l´exemple, en Grande-Bretagne l'office de propagande de Lord Northcliffe emploie 485 personnes en 1918.

Evidemment, l´apogée de la propagande sera atteinte avec les soviétiques, les fascistes et les nazis qui chacun utilisèrent au maximum ces techniques de bourrage de crâne.

La nazification de la culture commence par un immense autodafé de livres à Berlin le 10 mai 1933. " La propagande de Goebbels, dira Hitler, est une de nos armes de guerre les plus efficaces ". Il apporte tous ses soins à la radio et fait mettre au point un récepteur populaire bon marché, le " VE-301 ".

Le ministre de la propagande a des solutions à tous les problèmes : des slogans répétés, des musiques qui entraînent la foule, … et même des films qui font d´Hitler un homme d´Etat dès 1933 : la participation de Leni Riefenstahl à la propagande lui permit d´avoir une certaine sympathie au niveau international. L´exemple du triomphe de la volonté et de ses nombreuses récompenses est assez probant : « Le Triomphe de la Volonté » reçut en 1935 le prix d’honneur du meilleur documentaire en France ainsi que le premier prix de la catégorie documentaire à la Biennale de Venise en 1937. La même année, il fut également diffusé à plusieurs reprises lors de l’Exposition Internationale de Paris.

Pourtant, cette apogée sera aussi une fin de cycle pour chaque régime l´ayant utilisé. Echec en Allemagne, avec la fin du nazisme qui utilisait la propagande comme méthode de gouvernement. Idem au Japon, où malgré l´endoctrinement des écoliers, et le fanatisme des kamikazes, deux bombes atomiques contraignent à la capitulation.

Tchakhotine, principal théoricien de la propagande et auteur du Viol des foules par la propagande politique prédit le succès de la méthode des sondages, « qui vont, dit-il, transformer la démagogie de la propagande en psychagogie des masses populaires. »



[1] L´image en Politique, De Luther à Internet, de l´affiche au clip, Jean-Paul Gourévitch, Hachette.

[2] Il commente d´ailleurs la campagne présidentielle de J. Chirac 1995 comme une métaphore de la pomme originelle.

[3] L´image en Politique, De Luther à Internet, de l´affiche au clip, Jean-Paul Gourévitch, Hachette.

jeudi 10 mai 2007

Marketing viral et SMS

Les SMS sont de plus en plus utilisés à des fins de marketing politique. Endre Danyi, sociologue et membre de l’association e-Democracy de Hongrie, remarque dans une interview[1] que de nombreux calembours politiques ont circulé via SMS avant le premier tour des élections hongroises en avril 2002 et même, « quelques partis politiques ont utilisé des messages SMS pour appeler leurs supporters à se rendre à des manifestations et des messages politiques –y compris des poèmes- ont circulé ainsi. »

Ces élections sont relativement intéressantes, car même si l´on considère souvent la Hongrie comme un pays de l´est qui commence à s´ouvrir, les nouveaux medias y ont joué un rôle important.

Après le premier tour du scrutin, le parti d’opposition (le parti socialiste) et leurs alliés ont obtenu 51% des voix, contre 49% pour le parti conservateur au pouvoir (Fidesz – Alliance des jeunes démocrates). A la vue de la situation, le parti au pouvoir a dû changer sa stratégie de communication et s’est lancé dans une campagne extrêmement négative. Des millions de prospectus et posters anonymes ont été diffusés et ont répandu des pseudo-arguments et des calomnies insidieuses sur les socialistes. Sur Internet, les mêmes messages négatifs étaient répandus, mais aussi via les SMS et les envois de mails par des militants de droite. Les sympathisants socialistes ont répliqué avec des millions de contre-SMS et mails.

Entre les deux tours de l´élection hongroise, 3 types majeurs de messages électroniques de campagne ont été identifiés:

  • messages de propagande.
  • messages humoristiques ou satiriques.
  • messages d’action.

Ces trois types de messages ont circulé en très grande quantité. Le trafic SMS a même augmenté de près de 20% entre les deux tours des élections (7 et 21 avril 2002) !

Les messages d’action ont servis d’outil de mobilisation pour les manifestations publiques et les meetings politiques. Quelques heures ont suffi pour rassembler une foule de quatre à cinq mille personnes sur une place. Les SMS d’actions ont aussi contribué à la mobilisation d’énormes rassemblements de plusieurs centaines de milliers de personnes. Entre les deux tours des élections, tous les partis ont utilisé des SMS d’action pour la mobilisation politique.

Parmi les 6 ou 7 plus importants partis, 4 avaient complètement refait leur site Internet, ajouté du contenu, de toutes nouvelles applications …etc. Ils ont, semble-t-il, dépensé d’importantes sommes d’argent.

Durant la campagne cependant, les sites de partis et le contenu fourni n’étaient que des substituts de matériaux de campagne déjà connus et utilisé offline (brochures, tracts, lettres d’information). Ils ne représentaient rien de vraiment nouveau ; le poids mis sur l’interaction n’était pas vraiment significatif.


Puis, d’un seul coup, les applications de communication « peer-to-peer » ont occupé le devant de la scène. De toute évidence, ces messages envoyés par email et SMS représentaient un flux d’information ascendant, en provenance directe de la population. Ces messages étaient incontrôlables. Les experts dans chaque parti ne savaient pas comment réagir par rapport à ce phénomène. Ils essayent toujours de comprendre d’ailleurs.


Nous avons aussi la preuve que les spécialistes de la communication dans chaque parti créent des messages qui sont distribués aux militants. En d’autres termes, le marketing politique viral est partiellement créé par les états-majors de partis, mais ce sont les militants et les sympathisants qui ensuite jouent un rôle clé dans la distribution de ces messages et la création de variantes. Les partis ne peuvent pas contrôler intégralement le domaine de la politique virale qui représente une variable très incertaine.



[1] http://www.netpolitique.net

mardi 8 mai 2007

Recherches et décisions marketing

Le cœur de métier du marketing est de mener toutes les recherches possibles pour déterminer les besoins et attentes des consommateurs avant de lancer un produit ou de développer un service. Le marketing politique a les mêmes objectifs. Les présidents, américains notamment, ont largement fait appel aux sondages d’opinion pour orienter leur mandat. Les programmes puis les applications politiques sont d’abord testés sur des focus group puis des recherches marketing sont faites pour développer des tactiques, et des stratégies pour les faire apparaître sous leur angle le plus séducteur aux citoyens.

· Les sondages ont été introduits par George Gallup en 1932 alors qu’il travaillait chez Young & Rubicam. Il prédit, suite à une enquête, que sa belle-mère serait élue secrétaire d’Etat dans l’Iowa. Il venait d’inventer le sondage politique. Aujourd’hui, le sondage est devenu l’outil le plus important pour l’homme politique.

· Même si elle n’est pas utilisée en France, la publicité comparative est très courante aux Etats-Unis. Le principe est de montrer, dans un spot télévisé par exemple, les faiblesses du parti ou du candidat opposé. Parfois, le caractère même du candidat est attaqué. Cette méthode est très en vogue auprès des consultants parce que les électeurs se rappellent plus facilement un message négatif qu’un message positif[1]. On a vu, par exemple, dans les élections canadiennes de 1993, le « Progressive Conservative » parti se moquer ouvertement de la paralysie faciale du leader libéral Jean Chrétien dans ses publicités.

· L’envoi de courrier est également classique. Les candidats l’utilisent souvent pour annoncer leurs programmes ; de même, les élus s’en servent pour souhaiter leurs vœux en début d’année ou pour des occasions particulières. Mais cela peut aller encore plus loin : il existe des campagnes de courriers « fantômes ». Leur but est de ne pas se faire remarquer par les journalistes, le grand public et les adversaires. Cette pratique s’adresse aux principaux lobbies, aux donateurs généreux, aux personnes qui les aident à faire du phoning. Elle fut largement utilisée lors de la campagne présidentielle de 1980 même dans les derniers jours de la campagne. Ces courriers, parfois dans un langage grossier peuvent répandre des rumeurs auxquelles les candidats n’ont parfois pas le temps de répondre.

· Le focus group est une technique de recherche marketing spécifique que les entreprises utilisent depuis des années pour tester des nouveaux concepts de produits ou des techniques de publicité. Il s’agit de petits groupes de gens, entre 5 et 15, qui sont assis autour d’une table et qui répondent aux questions que le leader leur pose. Les participants sont choisis scrupuleusement pour ces séances, en général par téléphone, et sont rémunérés entre 30 et 150 €. Cette technique est utilisée en période électorale pour savoir ce que pense un segment précis de la population sur un thème donné.

· Une autre technique qui est devenue populaire est le « Push Poll ». Le principe est d’appeler plusieurs milliers d’électeurs et de les soumettre à un questionnaire dans lequel le candidat opposé est dénigré pour voir les réactions que peuvent avoir les gens et leur suggérer qu’un politique est peut-être différent que ce qu’ils pensent. Par exemple : « Si vous veniez à apprendre que le candidat X a trompé sa femme, avec qui il vit depuis 32 ans et dont il a quatre enfants, avec une femme de 19 ans alors qu’il était dans ses fonctions d’élus, seriez-vous prêt(e) à voter pour lui à nouveau ? ».

· Le télémarketing est également utilisé aux Etats-Unis pour les campagnes électorales. Cependant, avec la baisse du nombre de bénévoles, ces services téléphone sont généralement sous-traités par des entreprises privées. Les informations sont collectées dans des bases de données compatibles avec des logiciels de campagne qui traitent les informations et sortent des lignes directrices.

On peut noter qu’en France entre les deux tours de l’élection présidentielle de 1981, François Mitterrand a fait appel à cette technique. Son opération : « Cent coups de fils pour convaincre » avait pour but que des militants socialistes, munis d’argumentaire de campagne appellent 20 personnes en une heure pour les convaincre d’amener leur voix au candidat socialiste.

· Le Robo-calls est encore d’origine américaine. Les candidats, des célébrités ou des militants enregistrent des messages en aval de la campagne. Puis après une programmation de « robot » (téléphone automatique), le message est délivré à des particuliers avant la campagne. En général, le but est évidemment d’inciter les électeurs à aller voter pour le candidat, mais parfois, le but est juste de répondre à une attaque de l’adversaire. Les personnes contactées sont de manière générale ciblées, mais provoque parfois des surprises ; un manager de campagne canadien rapporte ces faits : avant une élection au Canada, 8 000 électeurs ont reçu cet appel personnalisé : « Bonjour, je suis le candidat X. Je suis désolé mais vous me manquez vraiment. Je veux vraiment que vous sachiez qu’il est très important d’aller voter. L’élection est demain et je compte vraiment sur votre soutien », pour un prix qui n’est vraiment pas prohibitif. Les retours furent du type : « C’est incroyable, le candidat X m’a appelé cette nuit ! Je le crois à peine ! »[2].

· La diffusion de numéros verts pour entrer en contact avec des militants et discuter avec eux sans avoir à payer le prix de la communication est une des autres méthodes utilisées avec le téléphone.

· On peut encore évoquer les recherches qui visent à trouver tout ce qui est possible sur un candidat adverse, coutume répandue aux Etats-Unis, où Grover Cleveland avait accusé Thomas Jefferson d’avoir des enfants illégitimes. Cette méthode existe donc depuis longtemps, c’est l’argument ad hominem que Schopenhauer place comme deuxième base de la dialectique (avec l’argument ad rem), dans son Art d’avoir toujours raison[3].

Les Américains appellent cela l’ « oppo », car le but est de faire opposition dans le but d’embarrasser le candidat. Ils n’hésitent pas à aller chercher des documents d’archive, des prises de position par rapport à des sujets polémiques (on a vu Arnold Schwarzenegger se faire rappeler une interview des années 70 où il disait consommer du cannabis), des rapports de service militaire (George W. Bush en fait les frais face à John Kerry qui a remis en cause son passé militaire), des financements politiques…

Aussi, il arrive que des candidats emploient des firmes ou des enquêteurs privés pour qu’elles leur fassent un audit personnel, sur leur passé, pour trouver des moments de vulnérabilité auxquels il serait bon de trouver une solution si jamais on les attaque à ce propos.

· Le Celebrity endorsement, consiste en marketing commercial à faire porter un produit par une célébrité pour qu’elle lui transfère ses qualités dans l’esprit des consommateurs (l’exemple des modèles qu’utilise l’Oréal est flagrant). Aux Etats-Unis, en Grande Bretagne, en France… les hommes politiques se font de même souvent soutenir par des personnalités. Les stars d’Hollywood sont les bienvenues pour des séances photos avec un candidat démocrate ou républicain.

· La pré-campagne, dont le but est de communiquer avec les électeurs bien en avance. Un principe que l’on retrouve dans le marketing du cinéma, qui annonce longtemps à l’avance la sortie d’un film événement et qui fait des campagnes de teasing avant même la sortie de la bande annonce. Le but est de préparer au mieux la campagne pour qu’une fois qu’elle soit véritablement lancée, les efforts préliminaires permettent d’en maximiser les effets. La campagne d’affichage de Jacques Chirac pour les élections de 1988 a eu une pré-campagne de teasing dès 1985.

· La campagne Internet est en train de se développer et permet aux électeurs de trouver à chaque instant les informations, films, programmes des candidats. Le media permet également de répondre par mails et de communiquer par newsletters. Les donations en ligne se sont largement développées, notamment avec la campagne Internet de George W. Bush de 2000.

· La manipulation de l’image n’est pas nouvelle. Dès 1860, Abraham Lincoln avait compris qu’il fallait se présenter le plus séduisant possible ; pour sa campagne, il se fit représenter plus jeune et avec un cou plus court. Aujourd’hui avec la technologie numérique, la modification d’une image est d’une simplicité incroyable. Des logiciels comme PaintShop ou PhotoShop permettent de retirer des gens des photos, d'en ajouter d’autres, de changer de lieu, de corriger les impuretés du visage… D’autres logiciels, un peu moins courant permettent de faire le même type de travail sur un support vidéo. Dès lors, on comprend qu’il est logique que les candidats apparaissent souvent avec des visages auxquels on a supprimé les défauts.

Dans une enquête pour Business Week[4], M. Landler remarquait en 1992 que 36% des personnes contactées pour un sondage refusaient de répondre, soit 12% de plus que 6 ans auparavant.



[1] Effectiveness of negative political advertising, R.R. Lau et L. Sigelman, dans Crowed Airwaves :Campaign advertising in elections, J. A. Thurber, Brookings institution press, 2000.

[2] Alex Marland, Political Marketing in modern Canadian federal elections, conférence pour l’Université de Dalhousie, 1er juin 2003.

[3] Schopenhauer, l’art d’avoir toujours raison.

[4] How are the polls ? We refuse to answer. M. Landler, Business Week 06/07/1992